Trahison(s)

Un vrai cliché de série B !

La lourde porte s’est refermée derrière moi et, après un bref moment d’adaptation à la forte luminosité extérieure, je l’ai vue, tel un mirage flou dans l’air surchauffé : En appui sur l’épave qui nous servait de voiture, elle m’attendait, magnifique dans son petit débardeur jaune, sa mini jupe orange et ses nu-pieds blancs… Magnifique comme au premier jour.

Elle me souriait en me regardant avancer mais ne fit pas mine de venir à ma rencontre. Elle rongeait son frein, mourrait sans doute d’envie de courir me sauter au cou comme moi je me retenais de lâcher mon baluchon pour me précipiter vers elle mais tous les deux nous savourions cet instant de retrouvailles, cette exquise et fragile sensation de félicité propulsant, pour un court instant, tout le reste, toutes les emmerdes à des années lumières.

En m’approchant, je devinai ses yeux rieurs derrière leurs verres fumés. Des yeux bleus, des yeux superbes.
« – Salut beau gosse. »

Je n’ai même pas répondu. J’ai entouré son doux visage de mes mains tremblantes et je me suis jeté sur sa bouche.

Encore un cliché : Un vrai baiser de cinéma, long, passionné et langoureux. Un baiser pour effacer ces longs mois de séparation.
Mais nos lèvres se reconnaissaient, se connaissaient. Pour elles, c’était comme si le dernier baiser datait de la veille.

Du pur bonheur !

***

300 bornes pour revenir à la maison. Beaucoup trop.
Naturellement, c’est elle qui s’est installée au volant : Deux ans que je n’avais pas conduit et je ne savais même plus où était mon permis !

Dans la voiture privée de climatisation, nous n’avons échangé que de brèves paroles. Ni l’un ni l’autre n’avions besoin de long discours.
Pour ma part, être là, assis à côté d’elle, pouvoir admirer son profil de médaille, regarder ses longues mèches blondes chahutées par l’air qui s’engouffrait par la vitre ouverte, sentir son parfum qui imprégnait l’habitacle, tout ça suffisait à mon bonheur.
Enfin pas tout à fait…
Le besoin de la toucher, de sentir sous mes doigt la réalité de sa présence était encore plus pressant.
Alors, presque timidement, j’ai posé le bout de mes doigts sur sa cuisse dénudée…
Elle a frémit.

Très vite, les gestes habituels sont revenus. Ma paume a parcouru lentement sa jambe, du genou jusqu’à la lisière du vêtement.
Bon sang ! J’avais oublié a quel point elle avait la peau douce !

Puis, toujours plus avides, mes doigts se sont glissés sous la jupe.
Elle gloussa.
« – Attention ! Tu vas me faire perdre mes moyens : C’est dangereux de perturber la conductrice ! »
Elle n’avait pas tort mais me retenir était maintenant au-delà de mes forces.
Je suis remonté toujours plus loin… Jusqu’à atteindre la jointure de ses cuisses dont la tiède moiteur ne pouvait manifestement pas être uniquement imputée à la chaleur ambiante…
Ca me donnait sans doute l’air d’un mort de faim mais, après tout, c’était bien ce que j’étais.

Pour me donner quelques aises, elle écarta légèrement les jambes.
Il ne m’en fallut pas plus pour prendre possession des lieux et pour appliquer une douce pression sur l’endroit le plus sensible, à travers le fin tissu protecteur.
Elle tressaillit en émettant une petite plainte, à mi-chemin entre le soupir et le gémissement.
« – Ce n’est pas raisonnable : Tu va me faire perdre la tête. »
Si elle savait depuis combien de temps je rêvais de ce moment !

« – Prends le petit chemin, là à droite, tout de suite ! »
Sans demander d’explication, elle obtempéra, pilant et tournant brusquement, indifférente aux coups de klaxon indignés des véhicules suivants.

La voiture parcourut quelques centaines de mètres sur le sentier chaotique avant d’arriver sous le couvert d’une haie de feuillus.

A peine le temps d’arrêter le moteur et de décrocher nos ceintures de sécurité que je me jetai sur elle… Mes mains repartirent à l’assaut de son corps, de ses cuisses, de ses seins, de son sexe… Ma bouche retrouva la sienne avec une ferveur décuplée !

Mais l’habitacle fut rapidement trop exigu… Nous sommes sortis et je l’ai plaquée contre la voiture… Je n’ai même pas pris la peine de lui retirer son string… Juste écarté la petite ficelle gênante… Mon sexe bandé a pénétré sans difficulté son intimité trempée.

Ce fut un accouplement éclair. Rapide et brutal. Juste de quoi assouvir un trop-plein de désir et une tonne de frustration accumulée. Un coït sauvage qui s’acheva après quelques allers-retours frénétiques et qui nous laissa pantelants mais heureux… rassérénés.

Etroitement enlacés, nous avons lentement repris nos esprits, sans dire un mot.
Je la serrais fort, très fort. Trop peut-être car elle se plaignit que je l’étouffais. Mais c’était plus fort que moi, je ne pouvais relâcher mon étreinte sans avoir l’impression qu’elle allait encore m’échapper… et pour toujours, cette fois.
La serrer m’aidait à retenir mes émotions. Je me sentais au bord des larmes. Je n’aurais su dire si c’était des larmes de joie, du bonheur de se retrouver ou des larmes de tristesse, de frustration en réalisant ce que j’avais perdu pendant ces deux longues années.

Même si je n’en étais pas très fier, j’avais bien fait… Comment aurais-je pu tenir plus longtemps ? La vie sans elle ne méritait pas d’être vécue.

Finalement, après un long moment, nous sommes remontés en voiture, nous avons remonté le chemin chaotique puis repris la route.

« – La petite est à la maison ? »
« – Oui, c’est ma mère qui la garde. »
« – J’ai hâte de la voir, elle aussi. »
Elle me regarda avec un sourire narquois :
« – Qui ? Ma mère ? »
« – Banane ! » Ai-je rétorqué en secouant la tête d’un air faussement désolé.

Certes, j’avais hâte. Mais ça ne nous a pas empêché de nous arrêter à nouveau et de refaire l’amour une fois… Plus tendrement, plus sereinement.

***

L’accueil de la belle-doche fut des plus réservés. En rhétorique, on appelle ça une litote… ou un euphémisme, je n’ai jamais bien compris la différence.
Toujours est-il que le regard glacial qu’elle me jeta à mon arrivée n’encourageait guère aux grandes effusions.
En même temps, on ne pouvait pas trop l’en blâmer. J’imagine qu’elle avait rêvé d’un avenir meilleur pour sa fille que ce que pouvait lui apporter un petit minable sans argent et sans talent qui, pour parfaire le tout, venait de passer deux ans aux frais de la collectivité.

Mais ce n’est pas ça qui me fit le plus mal. A la rigueur, l’opinion de la vioque sur moi, je m’en carrais comme de mon premier caca mou.
Non, ce qui me désolait, c’était le petit bout qui se tenait dans ses jambes et me jetait des regards apeurés. Et je réalisais soudain tout ce dont la prison m’avait privé : J’avais quitté un bébé de deux ans et je retrouvais une fillette de quatre, toute intimidée par cet inconnu que l’on appelait papa et à qui on lui demandait de dire bonjour.

Désespérant !

***

« – Ritchie veux te voir ce soir. »
Mon rythme cardiaque s’emballa légèrement.
« – Il est encore là ? »
« – Bien sûr ! Où veux-tu qu’il aille ? »
Oui, bien sûr… Pourtant, j’avais espéré éviter cette confrontation…

« – Je viens d’arriver. Ca ne peut pas attendre ? »
« – Tu fais comme tu veux… Il m’a juste demandé de te dire qu’il nous attendait pour manger ce soir. »

Nous étions assis sous le porche, installés à l’ombre pour boire un rafraichissement bienvenu après la route sous la canicule et les deux étapes « improvisées ».
A quelques mètres, la belle-mère s’occupait de la petite : Elle la poussait doucement sur la balançoire délabrée.
La vieille ne m’avait pas adressé trois mots, et l’enfant à peine plus.

Les grincements rythmés de la balançoire me rappelaient qu’il y allait y avoir du taf : La maison qui n’était déjà pas en très bon état à mon départ semblait encore plus décrépie. C’est fou comme tout peut vite s’abimer si on n’entretient pas ! En à peine plus de deux ans, c’était presque devenu un taudis, malgré les efforts de ma chérie pour la maintenir propre.
Sans parler du jardin laissé en friche !

Pas plus étonnant que ça. Nos maigres économies étaient intégralement passées dans les frais d’avocat. On avait même dû s’endetter.
Alors il était évident que l’entretien de la maison était passé au second plan ces deux dernières années. Kathleen avait déjà eu assez de mal pour joindre les deux bouts.

« – Il a assuré au moins ? Il s’est bien occupé de vous ? »
« – Oui… oui. » Me répondit-elle d’un ton bizarre… absent.

C’était quand-même la moindre de choses.
Car mes deux ans à l’ombre, je les devais en grande partie à mon « ami » Ritchie :
C’était en transportant sa marchandise que j’avais été serré. Alors il pouvait bien entretenir une femme et un enfant pendant quelques années en échange de ma « discrétion » auprès des autorités.
Pourtant, j’avais hésité, au début. Je n’avais pas trop envie de mêler ma femme à tout ça. C’était mon business, pas le sien. Pas envie de la lâcher entre les pattes de ce trafiquant multi-cartes.
Mais il avait bien fallu se rendre à l’évidence : Elle n’y arriverait pas sans aide.
Alors, j’ai fini par lui conseiller d’aller le voir. Et j’ai bien fait : Il lui a fourni un petit boulot qui lui a permis de tenir jusqu’à ma sortie.

Et encore heureux que j’avais eu le nez creux, ce matin là : Ils ne m’ont chopé qu’avec une toute petite quantité de dope. Si j’avais eu les cinq kilos initialement prévus, j’aurais été bon pour sortir à l’âge de la retraite et j’aurais pu dire adieu à ma remise de peine.
Non, faut pas dire, même si ça m’avait paru interminable, je ne m’en étais pas si mal tiré avec ces deux piges.

« – On va y aller. »
De toute façon, une invitation de Ritchie, ça ne se refuse pas.

Ritchie nous a accueillis à bras ouvert. Il m’a serré contre lui et m’a embrassé comme un fils.

Déjà, avant mon arrestation, il me faisait penser à un parrain, mais l’impression s’était encore renforcée en 24 mois.

Kathleen lui adressa un bonjour distant qu’il ne fit même pas mine de remarquer.

Même si ce mec était un immonde enfoiré, ça faisait quand-même chaud au cœur de constater qu’il ne m’avait pas oublié. Dans ce milieu, en général, que tu sois tombé ou mort c’est du kif-kif : Tu n’existes plus.

« – Ca fait plaisir de te voir, Marco ! Tu va voir : J’ai demandé à Martha de nous faire son meilleur rizotto. De quoi te faire oublier illico deux ans de rata pénitentiaire ! »

Ca, c’était pas gagné. Le rata pénitentiaire, je l’avais encore sacrément en travers de la gorge !
Mais il était vrai que Martha était une excellente cuisinière.
Martha, c’était la boniche qui lui servait accessoirement de maîtresse… A moins que ce ne fut le contraire… J’ai toujours eu le doute.

***

Le repas se révéla succulent. Martha était vraiment douée.
De quoi me faire momentanément oublier la boule qui ne quittait pas le creux de mon estomac depuis notre arrivée.

Ritchie était particulièrement volubile accaparant la quasi intégralité de la discussion, ce qui m’arrangeait.
Il m’a poliment posé des questions sur mes conditions de détention mais sans s’attarder sur le sujet. Il était bien placé pour savoir à qui je devais mon éloignement forcé.
Il nous demanda aussi des nouvelles de Lisbeth tout en précisant qu’il « adorait cette enfant ».
Il faudrait que pense à demander à ma femme dans qu’elles circonstances notre fille avait été amenée à côtoyer ce truand.

Kathleen gardait le silence, pour sa part. Je lui jetais de fréquents coup d’œil et je remarquais qu’elle semblait tendue, mal à l’aise. Presque plus que moi.
Elle se sentait sans doute redevable envers Ritchie mais ce n’était pas une raison pour faire la tronche !

Au moment de quitter la table pour rejoindre les confortables canapés qui nous attendaient dans le patio, je me suis trouvé pris de vertiges.
L’abondant vin de notre hôte avait beau être excellent, il n’en restait pas moins que j’avais perdu l’habitude de l’alcool.
Je me suis écroulé dans un fauteuil, l’esprit embrumé et vaguement nauséeux.
Au-delà de l’ivresse légère, un truc me turlupinait.
Sans pouvoir mettre le doigt dessus, je sentais que quelque chose clochait. Un élément, au cours de la soirée, aurait dû retenir mon attention.
Mais, englué dans les vapeurs d’alcool, je n’arrivais plus à me concentrer suffisamment pour l’identifier. Et ça, ça m’agaçait.

Ritchie s’est avachi en face de moi tandis que Kathleen prenait la place restée vacante à ses côtés.

« – Ahhh ! On n’est pas bien là, assis tous les trois ! » Soupira-t-il s’aise en écartant les bras le long du dossier. Il continua le mouvement et finit par enserrer sous son bras gauche les épaules de ma femme qui se laissa faire mollement.

Et il continua à causer… causer…
Il me demanda si j’avais des projets, m’assura qu’il avait déjà des affaires pour moi…

Sa dernière « affaire » m’avait coûté deux ans. Non merci !

Soupirant d’aise il s’exclama soudain :
« – Tu sais ce qui nous manque pour être au paradis ? »
J’aurais bien répondu « une balle dans la tronche » mais je n’étais pas certain que cela nous aurait ouvert les portes du Paradis. A mon avis, c’était l’enfer qui nous était promis et je venais d’en avoir un avant goût assez réaliste, ces deux dernières années.

« – C’est un bon vieux cigare qu’il nous faut ! Tu vas nous chercher ça dans le bureau, ma poulette ? » Dit-il en s’adressant à ma femme.

Ce n’est pas qu’il appelle ma femme « ma poulette » qui m’a choqué. C’était son habitude, il appelait toutes les femmes « ma poule » ou « ma poulette ».
Ce n’était pas non plus le fait qu’il accompagne sa demande d’une tape appuyée sur la cuisse de mon épouse. C’était un geste déplacé mais guère plus déplacé que sa façon d’être en général.
Non, ce qui m’a alerté, ce fut de voir ma femme s’exécuter sans moufeter. De constater qu’elle savait d’emblée ou Ritchie rangeait ses havanes.

Et soudain, tout devint limpide.

Oh non ! Pas ça !

Kathleen était revenue avec les cigares.

Toujours le sourire aux lèvres, Ritchie crapotait avec un contentement gourmand.
Moi, je tirais nerveusement sur le mien. Je n’arrivais pas à comprendre… Ou plutôt si, je comprenais trop bien.
Ce qui me surprenait le plus c’était que je ne m’en fus pas douté un seul instant avant que l’évidence ne me saute au visage.
C’était pourtant si clair, si inévitable. Quel con j’étais !

Elle restait stoïque, muette, sagement assise sur son bout de canapé.
Et moi, je l’observais avec une intensité accrue.
Je regardais ses yeux bleus… si grands, si innocents avec leurs longs cils…
Je regardais ses lèvres nacrées et je les imaginai s’ouvrir et former un rond pour accueillir le membre étranger…
Je regardais son buste frêle et je visualisai des mains brutales malaxer sans ménagement sa petite poitrine…
Je la regardais et je la vis s’allonger sous un corps lourd, écarter les jambes docilement et accepter sans protester les coups de boutoir violents d’un sexe conquérant.

Je les voyais tous les deux, assis côte à côte et j’imaginais les étreintes torrides, les corps enlacés, les accouplements bestiaux…

Et j’en crevais !

Bien sûr, en quelques instants, j’avais tout compris : La position de faiblesse, le manque de moyens, le besoin de se protéger, de protéger sa fille… et de me protéger peut-être aussi.
Je comprenais mais ça ne retirait rien au sentiment d’écœurement qui m’envahissait.

Je lui en voulais d’avoir cédé.
J’en voulais à l’autre d’en avoir profité.
Je m’en voulais aussi de l’avoir abandonnée.

Je me haïssais tout autant que je le haïssais lui.

Kathleen dut déceler que mon regard avait changé. Elle trouva un prétexte pour aller aider Martha en cuisine et s’éclipsa.

Ritchie semblait lui ne rien avoir remarqué. Il continuait à déblatérer son monologue sur la politique du gouverneur.

Je le coupai sèchement :
« – Pourquoi elle ? »
« – Pardon ? »
Je répétai :
« -Pourquoi elle ? »
« – Pourquoi elle quoi ? »
« – Pourquoi Kathleen ? Tu maitrises le réseau, tu peux te taper toutes les plus belles putes du comté. Pourquoi a-t-il fallu que tu prennes ma femme ? »

Il ne tenta même pas de nier. Il réafficha derechef le petit sourire que le moment d’incompréhension lui avait fait perdre un instant et s’adossa nonchalamment dans son sofa :
« – Parce que justement, ce n’est pas une pute… Et qu’elle est la plus belle fille de tout le coin… sans conteste ! Tu me connais : Moi, quand une nana bien roulée vient me voir en me faisant les yeux doux, je ne peux pas résister. »
« – Elle ne te faisait pas les yeux doux, elle venait te demander de l’aide. C’est même moi qui lui ai suggéré ! »
« – Ouais, et c’est ça qui m’a fait le plus marrer : Que tu me l’envoies, connaissant mon pédigrée ! Mais je peux t’assurer d’une chose : Elle m’a bel et bien fait les yeux doux. »
« – Et toi t’as abusé de la situation, t’as profité de sa faiblesse pour lui sauter dessus. »
« – Hé Ho ! T’as l’air de vouloir insinuer que je l’ai forcée ! T’es fêlé ou quoi ? J’l’ai pas obligée à quoi que ce soit, ta petite poulette. C’est de son plein gré qu’elle est arrivée dans mon pieu… Et avec le sourire si tu veux savoir ! J’ai pas eu besoin de la forcer pour qu’elle écarte les pattes, crois-moi ! »

L’enfoiré !

« En même temps, faut la comprendre aussi : A son âge, belle comme elle est, des mois sans homme c’est long, c’est très long ! Alors je peux te dire que quand je l’ai sautée la première fois, elle a chanté haut et fort… et c’était pas l’Ave Maria ! Ha ! Ha ! Ha ! »

L’immonde crapule !
Seule la certitude de me faire trouer la peau m’empêchait de lui sauter à la gorge.

« – Je ne te croyais pas capable de faire ça à un ami… J’avais confiance en toi… C’est pour ça que je l’ai dirigée vers toi… Et toi, tu ne trouves rien de mieux que de me la piquer… Sans même un scrupule ! Sans même un remords ! »
« – C’est même mieux que ça mon pauvre : A chaque fois que je la baisais, à chaque fois que je lui bouffais les seins ou le cul, je ne pouvais m’empêcher de penser à toi qui te morfondais tout seul dans ta petite cellule… Tu peux pas savoir à quel point ça me faisait bander ! Tu peux pas savoir le pied que j’ai pris à la tringler en sachant que, dans ta prison, tu te branlais en pensant à elle, en pensant à ce que tu lui ferais une fois libre et que c’était justement ce que moi, j’étais en train de lui faire ! Quel putain de pied !! »

« – Espèce de salaud ! T’es vraiment un enculé de première ! »

Ca, c’était de trop. Je pense que personne n’avait jamais traité Ritchie de salaud ou d’enculé… En tout cas pas en face… Mais tant pis, il fallait que ça sorte… je n’avais plus grand-chose à perdre de toute façon.
Paradoxalement, cela ne sembla pas le fâcher. Au contraire un afficha un air encore plus satisfait :
« – Ah Marco… Marco… Tu ne te doute même pas à quel point tu es dans le vrai ! »

C’est là que j’ai véritablement pris peur. Quel coup tordu ce résidu de fiente de hyène avait bien pu manigancer pour accepter des insultes sans broncher. Son sourire carnassier ne me disait rien qui vaille… Et j’avais raison.

« – Figure-toi, mon brave Marco, mon fidèle Marco, qu’une fois que j’ai eu goûté à la petite chatte de ta poulette, il m’est vite apparu évident que je n’allais pas la laisser repartir comme ça. Elle est vraiment trop bonne, trop belle. Trop classe pour un petit minable comme toi. C’est une princesse, Kathleen, et comme toute princesse, il lui faut un environnement à la hauteur de sa beauté. Pas un misérable taudis. »

J’eus soudain peur de comprendre où le salopard voulait en venir…

« Bon, je dois dire que ta libération anticipée a un chouïa contrecarré nos plan » dit-il en contemplant un instant le mégot qui se consumait entre ses doigts jaunis. « Encore quelques semaines et la procédure de divorce aurait été enclenchée… tout comme la procédure d’adoption de Lisbeth. »
Mon cœur se serra.
« Tu serais sorti ne serait-ce qu’un an plus tard, tu aurais trouvé une maison vide, sans femme et sans enfant. » Rajouta-t-il pensivement, comme s’il regrettait que cela n’ait pas pu se faire comme il l’avait projeté.

L’infâme ordure !!

« En même temps, ce n’est que partie remise et ça ne change pas grand-chose » Continua-t-il « Tu dois bien te douter que maintenant qu’elle a goûté à un vrai mec qui, en plus, peut lui apporter tout le confort qu’elle mérite, tu n’as plus beaucoup de chance de ton côté. Il faut que tu te fasses une raison, Marco, Kathleen est à moi maintenant… Quant à ta fille, on verra ça en temps et en heure… Mais tu dois admettre qu’elle me connait mieux que toi : Moi, quand elle me voit, elle me saute dans les bras… Est-ce qu’elle t’a sauté dans les bras, cet après-midi ? » Finit-il avec un sourire cruel au coin des lèvres.

Je restais muet, abasourdi.
Un gouffre de néant s’ouvrait devant moi.
Mais je n’avais pas dit mon dernier mot.

« Oh, je sais ce que tu penses : Tu te dis que tout n’es pas fini puisque vous avez baisé ensemble en revenant de Black Water. Tu crois que je me fourvoie et que tu as encore toutes tes chances… Mais au risque de te décevoir, sache que ça aussi c’était prévu : J’avais accordé trois « jokers » à Kathleen, comme qui dirait en souvenir du bon vieux temps… Je pouvais bien te faire cette fleur… Considère ça comme une récompense pour « services rendus » Ha ! Ha ! Ha ! »

Non !!
Nooon !!!!
Non ! Ca je ne pouvais pas le croire ! Je ne pouvais pas admettre qu’elle l’avait fait sur ordre ! Ce n’était pas possible ! Pas elle ! Pas comme ça !

« Et oui, mon pauvre ! Tu vois : Elle me dit tout, elle me rapporte tout ce qu’elle a fait avec toi, même le plus intime… Elle m’obéit, elle est à moi. Je sais que vous avez baisé deux fois. Je sais où et je sais comment… Console-toi, ça veux dire qu’il vous reste un joker. Tu me diras si tu veux l’utiliser ou pas. » Conclut-il cyniquement.

C’est sans doute ça qui m’a achevé.
Je pouvais concevoir qu’elle ait éprouvé un manque.
Je pouvais admettre qu’elle se soit jetée dans les bras du pire individu qu’elle puisse trouver.
Je pouvais même me faire à l’idée qu’elle ait pu y prendre du plaisir.
Mais imaginer que, sur la route, elle m’ait fait l’amour par devoir, juste « en souvenir du bon vieux temps », sans passion et sans envie, et qu’elle ait été tout raconté ensuite à l’affreux, c’était la pire des trahisons.
Ca me dépassait, m’anéantissait.

Et l’autre qui en rajoutait, pour bien m’enfoncer encore plus…

« – En même temps, si ça peut te consoler, dis-toi que tout ça c’est un hommage à ton bon goût et que ça redorera ton blason… Ben ouais : Si elle n’avait pas été aussi bonne, ta poulette, je l’aurais sautée une dizaine de fois et une fois que j’en aurais eu ma claque, je l’aurais refilée aux copains… et ensuite, roulée comme elle est, elle aurait pu avoir facilement sa place dans un de mes bordels de la côte est… Alors que là, tu vois, j’en fais une reine et toi, t’es l’ex de la reine ! C’est toujours mieux que d’être le mari de la pute du coin, non ? En plus, être l’ex de la nana du caïd te confère un statut de quasi intouchable ! C’est pas de la balle, ça !!? »

Mais, c’était qu’il avait l’air de croire à ses propres élucubrations, le con !
Il était tellement certain de m’avoir écrasé, détruit.
Comme si je pouvais accepter cette soumission totale, cette humiliation suprême sans broncher !
Comme si je ne savais pas qu’il m’enverrait six pieds sous terre dés qu’il en aurait marre de me voir baver et que ça ne le ferait plus bander de se taper ma femme sous mon nez !
Incroyable mais vrai !

Sûr de ma soumission, il enchaina :
« – Mais bon, trêve de plaisanterie. On aura tout le temps de reparler cul tous les deux. Pour l’instant, j’ai besoin de savoir si t’es partant pour les prochains coups car, comme tu peux le constater, mes plans sont toujours hyper chiadés, que ce soit pour le cul ou pour le reste. Hors de question de laisser la moindre place à l’aléa, à l’improbable. C’est pour ça que je ne me suis jamais fait coincer, tu vois. Et c’est pour ça que les flics ne m’auront jamais… trop cons, les flics ! »

Il continua mais je ne l’écoutais plus.
Ce qu’il venait de lâcher m’avait soudain figé.

Quelques instants plus tôt, tout m’avait semblé limpide. J’avais cru tout comprendre mais j’étais loin du compte !

Etait-ce possible ?
Tout ceci pouvait-il vraiment être issu d’un plan ? D’un plan machiavélique ?
Nul besoin d’une longue réflexion pour répondre par l’affirmative…
Encore une évidence qui crevait les yeux.

Depuis quand Ritchie bavait-il dès qu’il voyait Kathleen ?
Depuis toujours.
Avait-il déjà tenté sa chance auprès d’elle ?
Oui. Et pas qu’une fois ! Mais elle avait toujours refusé.
Etait-il capable de me tendre un traquenard pour m’écarter ?
Bien-sûr. Il était évidemment le mieux placé pour ça : La dope était pour lui. Il devait même y en avoir assez pour m’envoyer à l’ombre pour cent ans. Seul un incroyable concours de circonstances m’avait obligé à changer mes plans à la dernière minute. Et ça il ne pouvait pas le savoir.
Il avait dû être sacrément déçu quand il avait vu que je n’en prenais que pour six ans.

Et les brimades, ces provocations en prison… Etait-ce pour me faire craquer, pour me faire rallonger ma peine ? Pourquoi pas. A partir de là, on peut douter de tout.
Il savait qu’on ne s’en sortirait pas financièrement. Il avait prévu que Kathleen allait demander de l’aide et il avait fait en sorte qu’elle ne puisse le demander qu’à lui. C’était si facile, pour lui, de lui fermer toutes les portes… Quel salopard !
Dire que je l’avais fidèlement couvert alors que tout ça avait été manigancé par lui dans le seul but de s’approprier ma femme !

Ma décision était déjà prise, cette dernière révélation ne fit que la confirmer.

« – OK Ritchie, j’en suis. »
« – A la bonne heure ! »
« – Tu me files les infos et je potasse tout ça à tête reposée. »
« – OK, t’as tout là-dedans. Tu vas voir, avec tout le pognon qu’on va se faire, t’auras pas de mal à retrouver une petite poulette bien carrossée ! Hé ! Hé ! »
« – Et puis, tout bien réfléchi, puisque j’ai droit encore à ce « joker », j’ai envie de le prendre ce soir, tu comprends… deux ans d’abstinence, quand-même ! »
« – Ah !! J’aime te voir reprendre du poil de la bête comme ça ! Pas de problème, mon vieux, c’est dit, c’est promis ! Amusez-vous bien et… profites-en : C’est la dernière fois que tu la touches. Ha ! Ha ! Ha ! »

***

Finalement, j’ai bien fait.
Dire que j’avais failli avoir des remords !

Le plus incroyable, c’est qu’un mec comme Ritchie, parano comme il est, ne se soit douté de rien.
Il était tellement imbu de sa puissance, tellement certain que personne n’oserait contrarier ses fameux plans sous peine de finir avec une balle au milieu du front qu’il ne pouvait concevoir qu’on puisse seulement avoir l’idée de le trahir…

Pourtant, même lui aurait dû se douter qu’on ne réduit pas par trois sa peine de prison sans un bon « arrangement »…

Les fédéraux ont débarqué dans la nuit, le tirant du pieu de Martha qui l’avait provisoirement récupéré.
Ils étaient heureux, les feds, ils en avaient des billes ! Entre ce que j’avais balancé en prison et ce que j’avais récupéré en plus ce soir là, ils avaient de quoi le mettre à l’ombre jusqu’à la quarantième olympiade !

Sans compter tout ce qu’avait rajouté Kathleen…

Oui, elle avait foutrement bien bossé la môme. J’aurais juste préféré qu’elle m’en parle avant… et qu’elle n’ait pas eu besoin de coucher avec l’ennemi…
Mais bon, le résultat est là : On est libres.
Toujours aussi fauchés mais libres.
Du moins, on le sera totalement lorsqu’on aura mis suffisamment de miles entre nous et l’arrière garde de Ritchie qui, dans les mois prochains, risque sûrement d’être légèrement vindicative. Encore une litote… ou un euphémisme, je ne sais toujours pas.

J’aime conduire de nuit.
On a l’impression que le monde nous appartient.
Je viens de prendre le relai, Kathleen ne va pas tarder à s’assoupir, la tête contre la vitre.
Derrière, Lisbeth dort profondément.
Ce matin, elle m’a dit « papa » pour la première fois.

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