Je l’avais toujours regardée comme une forteresse imprenable. Elle était la femme de Luc, et ils allaient bien ensemble. Grande et athlétique, comme lui, blonde, longues jambes, poitrine pleine, la beauté saine et paisible d’une fille venue du nord, sa mère était suédoise. Les années et la naissance de deux enfants avaient ajouté quelques kilos à sa silhouette, mais sans rien enlever à son charme. Pourtant, Muriel n’en jouait pas, même l’été, elle s’habillait rarement sexy et elle ne regardait que Luc. En fait, ils étaient l’incarnation du couple parfait, ce qui est toujours un peu agaçant pour les autres. Ils s’aimaient, n’avaient aucun souci matériel et Luc, qui avait eu beaucoup de succès féminins avant son mariage, s’était définitivement rangé depuis qu’il avait rencontré Muriel.
De notre bande de copains d’enfance, tous n’avaient pas connu la même trajectoire. Je venais de divorcer, par exemple. Pour être plus précis, ma femme m’avait quitté. Notre mariage battait de l’aile depuis quelque temps déjà, sans que nous n’osions regarder la réalité en face. La flamme s’était progressivement éteinte, nous ne faisions plus beaucoup l’amour depuis la naissance de notre fille, faute de désir d’un côté comme de l’autre. Je m’étais accommodé de cette situation. J’avais des maîtresses, des histoires sans importance, mais qui me rassuraient sur ma capacité de plaire, de faire l’amour, d’emmener une femme au plaisir. Je croyais naïvement que Christine ne s’en apercevait pas. Et j’imaginais poursuivre ma route avec elle. Un jour, elle m’a dit qu’elle n’ignorait rien de mes aventures, qu’elle ne m’en voulait même pas, qu’elle avait rencontré un homme et qu’elle voulait vivre avec lui. Je n’ai pas cherché à la retenir. Sur le fond, nous étions d’accord : nous ne nous aimions plus, alors, à quoi bon ?
Notre divorce s’est bien passé, enfin, aussi bien que possible. Après coup, j’en ai quand même conçu de l’amertume. Je me retrouvais seul, tandis que Christine avait la garde de notre fille, et vivait avec un autre homme… Je ne sais pas pourquoi, mais cette amertume s’est focalisée sur Luc et Muriel, ce « couple parfait ». Ils ne m’avaient pourtant rien fait, mais ils me rappelaient, par contraste, le naufrage de mon propre couple et je suis devenu jaloux de Luc, de son bonheur.
Lors d’un dîner chez des amis de la même bande, auquel Luc et Muriel n’assistaient pas pour une raison que j’ai aujourd’hui oublié, la discussion est venue sur l’érosion des couples, avec le temps, les enfants. Un sujet que je maîtrisais bien… Inévitablement, Luc et Muriel ont été cités, en contre-exemple. C’est alors que Stéphanie, qui avait un peu trop bu, comme d’habitude, a eu une parole de trop :
— Ça ne se passe peut-être pas aussi bien que vous le croyez entre eux.
Nous lui avons tous demandé ce qu’elle entendait par ces mots. Elle s’est rétractée, disant qu’elle avait juste émis une hypothèse, qui ne reposait sur aucun fait précis.
Je connais bien Stéphanie, très bien, même. Nous avons eu une brève liaison, il y a des années. Elle sortait déjà avec son futur mari, il était parti faire un stage à l’étranger et elle lui en voulait de ne pas lui téléphoner assez souvent, le soupçonnait d’avoir rencontré une autre femme. Bref, nous avons passé deux nuits ensemble, deux belles nuits d’ailleurs, sans que jamais personne ne le sache, ni son futur mari, ni Christine. Nous en sommes restés là, mais ce secret nous a rapprochés, et nous ne nous cachons pas grand-chose depuis, sachant que ce qui est dit reste entre nous.
Plus tard dans la soirée, je l’ai donc isolée pour lui demander ce qu’elle savait exactement au sujet de Luc et Muriel. Elle a commencé par nier. J’ai insisté, en lui disant qu’elle pouvait mentir aux autres, mais pas à moi, et elle m’a lâché le morceau :
— Muriel m’a fait des confidences. Elle aime Luc, mais elle lui reproche de la regarder davantage comme une mère de famille que comme une femme. Ils ne font plus beaucoup l’amour. Alors, Muriel a eu un amant.
— Tu plaisantes : la prude Muriel, un amant ?
— Pas vraiment un amant, juste une aventure, qu’elle regrette. Ça s’est passé en février. Luc n’a pas pu prendre de vacances et elle est allée seule avec ses enfants au Club Méditerranée. Là-bas, elle s’est fait draguer par un moniteur de ski du club, à qui elle a cédé.
— Jamais je n’aurais cru ça d’elle. Elle cache bien son jeu…
— Non, attends, ce n’est pas ça. C’était une histoire idiote, un peu sordide même. Il venait la retrouver dans sa chambre vers 18 heures, quand les enfants étaient redescendus dîner à la garderie du club. Ils ne passaient qu’une heure ensemble et Muriel m’a dit qu’elle n’y avait pris aucun plaisir, que ça la bloquait de voir les affaires de ses fils dans la chambre. Quand son moniteur lui faisait l’amour, elle imaginait qu’ils allaient frapper à la porte. Tu vois le tableau ? Je te l’ai dit, elle le regrette et s’est jurée de ne jamais recommencer.
Je n’ai rien dit. J’étais sous le choc de cette révélation : Luc cocu, Muriel s’envoyant en l’air avec un moniteur de ski dans la chambre où elle dormait avec ses enfants ! Stéphanie me connaît aussi bien que je la connais. Elle a senti que ma réaction était étrange :
— C’est bizarre que tu te préoccupes tant de Muriel. Elle t’intéresse ?
Je n’avais pas à cœur de lui mentir. J’ai répondu que oui. Ça l’a fait rire :
— Trouves-en une autre. Là, tu vises trop haut, tu ne l’auras jamais ! Elle a craqué une fois. Mais c’est une femme fidèle.
À cette époque, mon divorce m’avait rapproché de Luc et Muriel, à l’instigation de Luc. Christine, tout à son nouveau bonheur, avait quitté notre bande. Ma fille avait à peu près le même âge que les fils de Luc et Muriel. Ils s’entendaient bien, mais avec moi, elle était difficile, comme si elle me faisait payer le prix de ce divorce. Luc, en bon copain, craignait que j’aie un coup de blues, contrecoup du divorce. Il m’invitait souvent à passer le week-end avec eux, pour que nos enfants jouent ensemble. Il m’invitait aussi à des dîners chez eux, où il y avait toujours une amie de Muriel, célibataire ou divorcée…
Lors de ces week-ends, il m’arrivait souvent de me retrouver, seul, en compagnie de Muriel. Ma fille me battait un peu froid. Luc adore les enfants, il aurait été un parfait chef de troupe chez les boy-scouts. Il leur invente des jeux, les emmène se promener. Muriel est de caractère plus placide. Alors, je restais avec elle, pendant que Luc s’occupait des enfants.
Au début, il n’y avait pas l’ombre d’une ambiguïté de ma part. Je l’ai dit, je la considérais comme imprenable, trop belle, trop amoureuse, trop fidèle, mais les révélations de Stéphanie à son égard ont changé le regard que je portais sur elle. J’ai commencé à fantasmer sur son grand corps, dont je savais, maintenant, qu’il avait des envies que Luc ne satisfaisait pas. Chaque fois que je la rencontrais, que je voyais son doux visage à l’innocence nordique, je pensais à une autre Muriel : celle, capable d’envoyer ses enfants à la garderie pour pouvoir accueillir dans sa chambre un amant de rencontre. Rétrospectivement, je n’en suis pas fier, mais je suis devenu calculateur, cynique même. Je suppose que mon divorce m’avait endurci et j’ai décidé de la draguer, discrètement, en la faisant venir à moi. Elle ne s’est jamais doutée de rien. Luc non plus d’ailleurs. Mais je ne pensais qu’à elle, à la manière dont je pourrais la séduire. J’avais un avantage : je savais qu’il y avait une fissure dans leur couple, il ne me restait plus qu’à l’élargir, progressivement, consciencieusement.
Je n’étais pas moniteur de ski au Club Med. Je ne pouvais pas, comme ce type, la voir seule pendant une semaine, sans Luc dans les parages. Alors, j’ai procédé exactement à l’inverse de cet homme qui l’avait séduite, mais à moitié seulement puisqu’elle n’avait pas pris de plaisir avec lui. Et le temps était de mon côté.
J’ai commencé, quand Luc était dehors le week-end avec nos enfants, à orienter nos discussions vers des sujets plus intimes. C’est moi qui ai amorcé la pompe, sur le ton de l’homme blessé, qui souffre du départ de sa femme. Je lui disais que j’aimais encore Christine, mais que j’étais seul responsable du naufrage de notre couple. Que je n’avais pas assez prêté d’attention à ses désirs de femme, que j’avais laissé le désir s’éteindre entre nous, que nous n’étions plus un vrai couple à la fin, puisque nous faisions rarement l’amour. Je savais que ces mots la touchaient doublement, d’abord, parce qu’ils lui rappelaient ce qu’elle vivait dans son propre couple, et accentuait sa frustration, ses reproches, même à l’égard de Luc. Ensuite, parce qu’ils la mettaient en confiance : un homme qui drague une femme ne lui dit pas qu’il est encore amoureux de la femme qui l’a quitté… J’espérais même qu’elle répétait mes propos à Luc, afin qu’il me juge inoffensif lui aussi, juste le type qui vient pleurer dans le giron de sa femme.
Cette tactique a porté ses fruits. Muriel a commencé par me dire que tout n’était pas rose non plus dans son couple depuis la naissance de leurs enfants. Jamais plus, Luc ne l’avait emmenée en week-end en amoureux, rien que tous les deux. Ils ne faisaient jamais plus l’amour le matin, car Luc aimait que leurs enfants, au réveil, viennent les rejoindre dans leur lit. Elle a fini par m’avouer qu’ils ne faisaient plus beaucoup l’amour, que Luc la désirait moins qu’avant, et qu’elle en souffrait. Exactement ce que je voulais entendre. Sans qu’elle s’en rende compte, elle me donnait les clefs pour la séduire.
Deuxième volet du plan : l’art moderne, le mobilier contemporain. Ces deux sujets la passionnaient. Pas Luc, je ne l’ai jamais entendu parler, dans l’ordre, que des enfants, de son métier, de politique et de rugby… J’avais quelques vagues connaissances en art moderne. J’ai pioché le sujet, commencé à courir les galeries, de sorte que Muriel a découvert, avec ravissement, que nous avions une passion commune, et qu’elle pouvait enfin discuter d’art avec quelqu’un… La suite n’a pas été longue à venir. Quand je lui parlais des galeries que j’avais visité, des artistes que j’avais découvert, elle me disait combien elle regrettait de ne plus aller dans les expositions car Luc ne voulait jamais l’y accompagner. Et elle a franchi le pas, comme je m’y attendais :
— Ça serait sympa si on allait visiter une galerie ensemble
— Avec plaisir. Mais n’en parle pas à Luc. Il pourrait le prendre mal, imaginer je ne sais quoi. On peut y aller un de ces jours si tu veux, entre midi et deux.
Elle a mordu à l’hameçon en me répondant qu’effectivement, Luc n’avait pas besoin de le savoir, et que de toutes manières nous ne faisions rien de mal. Ainsi, nous avons commencé à nous voir en secret. Tout à fait innocemment dans son esprit, n’empêche qu’elle avait fait une première entorse à son mariage, en le cachant à Luc. Je pouvais enfin la rencontrer seule.
Nous partagions un autre secret, et c’était le troisième volet du plan. Même si je prenais soin de rester avec elle dans le domaine de l’amitié intime, je voulais quand même qu’elle sache que j’étais un homme de chair et de sang, pas un charmant compagnon asexué. J’ai eu des brèves histoires avec deux de ses amies, libres, et rencontrées chez elle lors de dîners. Je ne les désirais pas vraiment. Je n’avais que Muriel en tête et je leur avais fait l’amour en pensant à elle. Mon plaisir m’importait peu. Je me souciais uniquement du leur : longs préliminaires, nuits très sexe, amour le matin au réveil. Puis, après trois ou quatre nuits passées ensemble, je les quittais, en leur disant que j’avais beaucoup aimé les moments que nous avions partagés, mais qu’elles étaient venues trop tôt dans ma vie, que la blessure de mon divorce était encore ouverte, que j’étais désolé…
J’espérais qu’elles allaient en retour se confier à Muriel, lui dire que j’étais un bon amant, exciter sa curiosité à mon égard. Ça n’a pas manqué. Nous avions pris l’habitude de déjeuner ensemble une fois par semaine, après avoir visité une galerie.
Lors d’une de ces rencontres, elle a voulu connaître ma version des faits, savoir ce qui n’avait pas fonctionné entre ses amies et moi. Je suis resté évasif, je voulais passer à ses yeux pour un homme délicat, qui ne se répand pas en commentaires sur ses conquêtes :
— Je n’ai rien à leur reprocher, au contraire. L’alchimie ne s’est pas faite, c’est tout.
— Dommage, elles m’ont dit beaucoup de bien de toi, tu sais.
Je me suis mordu les lèvres pour ne pas sourire. Elles lui avaient parlé de sexe, j’en étais certain !
Les beaux jours étaient revenus. Muriel est venue à l’un de nos rendez-vous en jupe et en sandales à talons. Elle avait les ongles des pieds vernis. Je l’ai félicitée, lui ai dit qu’elle avait de très belles jambes, qu’elle avait tort de ne pas les montrer aux hommes plus souvent. C’était la première fois que je lui faisais un compliment explicitement sexuel. Il l’a touchée :
— Ça me fait plaisir que tu dises ça. Luc ne me fait pas de compliments. Il n’a même pas remarqué ce matin que j’avais les ongles vernis.
J’ai enchaîné sur l’habitude, qui fait que certains maris ne voient plus ce que voient d’autres hommes, mais je n’ai pas poussé plus loin. Je voulais que le message fasse son chemin dans son esprit. Les fois suivantes, elle est revenue à nos rendez-vous en jupe, toujours en talons et les ongles faits…
Parallèlement, je la prenais souvent par le bras quand nous visitions des galeries. Innocemment, sous prétexte de l’attirer vers un tableau ou une sculpture que j’avais repéré dans un coin, et je laissais ma main sur son bras pendant que nous regardions ce tableau, pour la retirer juste après.
Le moment d’aller plus loin est ainsi venu naturellement, lors d’un week-end passé dans la maison de campagne de son père. Il appréciait modérément Luc ou plutôt, n’avait pas grand-chose à lui dire. Le rugby n’était pas sa tasse de thé, il préférait parler d’art moderne, goût qu’il avait inculqué à sa fille. Il était visiblement heureux de pouvoir en discuter avec moi. De ces discussions, Luc se sentait exclu, il partait jouer dehors avec les enfants. Ça m’amusait de constater combien Muriel dissimulait nos visites de galeries. Quand j’évoquais une exposition que j’avais vu avec elle, elle feignait de ne pas la connaître et me souriait en disant qu’elle aurait bien aimé y aller… J’avais le sentiment que, quand elle faisait ce genre de réflexions, devant son père et parfois même devant Luc, elle m’envoyait à son tour un message, dont elle ne percevait peut-être pas encore la portée.
Le soir venu, nous avons de nouveau discuté d’art après le dîner. Luc était plongé dans la lecture de l’Équipe. Je suis monté me coucher le premier. J’avais noté la disposition des lieux : elle était assise face à l’escalier qui donnait accès aux chambres, son père de dos, Luc ne levait pas les yeux de son journal. Alors, en montant l’escalier, je l’ai regardée, longuement et elle n’a pas détourné le regard. Je savais ce qu’elle pensait : qu’elle aurait aimé monter cet escalier avec moi, que sa place était là, pas auprès de l’homme qui lisait son journal à côté d’elle.
Le lendemain, nous étions assis dans le jardin quand son père nous a appelés pour le déjeuner. Elle était en jupe. J’ai posé ma main sur sa cuisse nue, et je l’ai regardée. Elle a baissé les yeux, mais n’a pas bougé, ni retiré ma main. Je me suis levé le premier, sans prononcer un mot, c’était inutile, tout était dit. Lors de ce déjeuner, il m’a semblé qu’elle était nerveuse, je ne voulais pas que Luc s’en aperçoive. Alors, juste après le déjeuner, j’ai prétexté une occupation urgente et suis rentré à Paris avec ma fille.
Je ne lui ai pas téléphoné le lendemain. Je ne voulais pas lui paraître trop empressé, trop sûr de moi. Je voulais aussi lui laisser le temps de bien mesurer la signification de ce qui s’était passé dans le jardin. Je l’ai appelée le mardi matin, pour lui dire qu’il fallait qu’on se parle, juste le temps d’un café. Elle m’a répondu qu’elle avait aussi des choses à me dire. Là, j’ai craint qu’elle ne fasse marche arrière, me dise que nous avions été trop loin, qu’elle était une femme fidèle et entendait le rester.
Nous nous sommes vus en début d’après-midi. Je suis allé à ce rendez-vous la gorge sèche, comme à 20 ans. Elle était arrivée avant moi, elle était en pantalon. Elle m’a laissé parler et j’ai compris, à son silence, que j’avais gagné, qu’elle était prête à sauter le pas. Mon discours était prêt depuis longtemps. J’avais tellement attendu ce moment, je l’avais tellement rêvé. Je lui ai dit que dans la vie, il y avait parfois des rencontres entre un homme et une femme, que cette rencontre, nous ne l’avions pas voulue (menteur !), pas calculée, qu’elle s’était progressivement imposée à nous, qu’il ne servait à rien de la fuir. Que j’avais envie d’elle, profondément envie, mais que je ne voulais pas d’une liaison clandestine et forcément sordide, avec des rendez-vous entre midi et deux ou dans un hôtel, que je ne l’avais jamais fait de ma vie (re menteur !), que je n’avais pas l’intention de commencer avec elle, surtout pas avec elle.
Là, Muriel m’a surpris. Elle m’a coupé la parole et j’ai découvert une femme que je ne connaissais pas, plus froide, plus résolue. Elle parlait vite, de manière saccadée, comme si elle crachait des bouts de phrase :
— Moi aussi, j’ai pensé à tout ça, beaucoup pensé, même ! Et avant dimanche, si tu veux tout savoir. J’aime Luc, mais maintenant, tu es là. Je ne veux pas lui faire du mal. Nous partons en vacances mi-juillet, pour cinq semaines, ça me pose des problèmes au boulot. J’aurai encore du travail à cette date. Alors, je vais lui dire que je suis obligée de différer mon départ d’une semaine. La maison est déjà louée, il partira le premier avec les enfants, et je le rejoindrai une semaine plus tard. Cette semaine sera comme une parenthèse dans ma vie et je la refermerai, définitivement, quand j’irai rejoindre Luc.
Je lui ai pris la main, lui ai dit que j’étais d’accord. Elle s’est levée sans un mot, sans même toucher à son café, a juste posé un rapide baiser sur mes lèvres avant de s’en aller.
Il restait trois semaines avant son départ en vacances. Nous devions nous revoir deux jours plus tard, toujours pour voir une exposition. Nous étions gênés, il y avait comme un mur entre nous. Aucune envie de m’extasier ou de me révolter devant un tableau. Pas même l’envie de lui prendre la main ou de l’embrasser. Ma seule envie, c’était de l’emmener dans l’hôtel le plus proche. Nos paroles sonnaient faux. Une nouvelle fois, c’est Muriel qui a pris les devants :
— J’en ai parlé à Luc. Il est un peu déçu, mais pas trop. J’ai l’impression que l’idée de passer une semaine, seul avec nos fils lui plait. Je crois qu’il ne faut pas qu’on se revoie d’ici là. Ça serait moche, pour Luc, pour nous. Je te rappellerai.
Et elle est partie. Je devais passer un nouveau week-end avec eux, juste avant le départ de son mari. Elle m’a téléphoné pour me dire qu’il valait mieux que je ne vienne pas.
Son mari et les enfants ont pris la route un vendredi. Elle m’avait dit au téléphone qu’elle préférait passer la soirée seule, qu’elle était toujours angoissée quand son mari partait en voiture avec ses enfants, qu’il devait l’appeler dans la nuit, une fois arrivé. Nous avions donc convenu de nous retrouver le samedi, en début d’après-midi, pour visiter une galerie, comme d’habitude.
L’heure avait enfin sonné. J’avais apprécié en Muriel cette qualité : elle avait le courage de ses envies. Une fois sa décision prise, elle allait jusqu’au bout. C’est ce que j’ai pensé quand elle est arrivée, ce samedi-là, à la terrasse du café où je l’attendais. Elle marchait comme une statue de chair, fière, conquérante, et pourtant offerte ! Mules à hauts talons, vernis blanc sur les pieds, jupe bleue au-dessus du genou, foulard multicolore qui étranglait sa taille en guise de ceinture, chemisier blanc largement ouvert sur ses seins lourds, maquillage assez prononcé qui donnait du caractère à son visage aux traits réguliers. Je me souviens m’être dit que si la déesse viking de l’amour avait existé, elle en était la descendante. Avant de remarquer ce détail ultra féminin : elle était visiblement allée chez le coiffeur le matin même, comme si elle ne savait pas que les jeux de l’amour allaient déranger le bel ordonnancement de ses cheveux :
— Je ne t’avais jamais vue si belle.
Pas très original, mais c’était la stricte vérité. Elle m’a embrassé sur les lèvres en mettant la main sur mon épaule, puis s’est assise face à moi :
— Je te remercie. Ce n’est pas tout à fait un hasard. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
J’étais au comble de l’excitation. Par cette phrase, elle me disait qu’elle s’était préparée pour moi, qu’elle se donnait à moi, avec toute sa féminité, et que je déciderais du reste.
— Nous avons toute l’après-midi, peut-être plus. Je veux profiter de ce luxe. Viens, j’ai coché plusieurs galeries.
C’est mon défaut, je ne suis pas assez spontané. J’avais prévu un circuit de plusieurs galeries, qui s’arrêtait, pas très loin de chez moi. Il y avait quand même une sorte de gêne, nous savions ce que nous allions faire. Il ne servait à rien d’en différer le moment, mais je me souviens de cette après-midi comme d’un tourbillon. Nous allions d’une galerie à l’autre, sans jamais rester suffisamment dans l’une, happés par ce mouvement. On s’embrassait, on se touchait, nos corps se cherchaient, se trouvaient. Seul bémol, je n’osais pas la prendre par la taille. Avec ses talons, elle était plus grande que moi !
C’est elle qui a crié grâce :
— J’ai trop marché. Je n’en peux plus. J’ai mal aux pieds, avec ces talons.
Nous n’étions pas loin de mon appartement. Je lui ai pris la main, et l’ai guidée jusque chez moi. En chemin, elle a ôté ses mules, et les a prises dans l’autre main. Elle marchait pieds nus, je trouvais ça très érotique. En plus, je pouvais enfin la prendre par la taille. J’avais le sentiment que tous les piétons qui nous croisaient, savaient où nous allions : faire l’amour.
Dans l’ascenseur, j’ai connu pour la première fois le goût de sa bouche. Elle a progressivement répondu à mon baiser, en m’attirant vers elle, puis en pressant son grand corps contre le mien. Lorsque la cabine a stoppé à l’étage, j’ai reculé pour la regarder, son regard avait changé. Un regard de petite fille, timide, presque docile. Je bandais comme un cerf. Aucun de ces doutes qui assaillent parfois un homme, avant la première fois. Elle ne pouvait pas le savoir, mais depuis trois semaines, je m’étais réservé pour elle. Pas le moindre coup tiré ailleurs, pas la moindre masturbation non plus, même si l’envie m’en avait parfois tiraillé. Je voulais garder toute ma semence, toute ma virilité pour elle.
En entrant chez moi, elle n’a pas demandé à visiter les lieux, dans lesquels elle pénétrait pour la première fois. Nous avions mieux à faire. Je l’ai attirée sur le divan, et l’ai déshabillée lentement, en savourant chaque parcelle d’une peau que je dénudais, que je découvrais. Elle m’avait dit une fois, dans le cadre de ses confidences sur sa vie de couple, que son mari ne la déshabillait plus, qu’ils le faisaient chacun de leur côté avant de se retrouver dans leur lit, en tee-shirt. Je ne l’avais pas oublié.
Elle se laissait faire, sans fausse pudeur, mais avec ses mains sagement posées dans l’encolure de ma chemise, sur mes épaules. Et toujours ce même regard, timide, candide. Elle a juste fermé les yeux quand je lui ai enlevé son string, en levant les fesses pour m’aider. Elle a d’abord resserré ses jambes, les poils de son pubis étaient taillés en V, mais pas rasés, une touffe blonde, volumineuse, clairsemée. Sa docilité a fouetté ma virilité, j’avais envie d’être très sexe avec elle. Je lui ai mis les mains derrière la tête, en tenant fermement ses poignets, et, avec ma bouche, je me suis occupé de ses seins. Ils étaient blancs, lourds, pleins, un peu tombants, avec de larges aréoles, ils sentaient bon, ils étaient doux. Sa respiration est devenue courte quand j’en ai dressé la pointe avec les dents, l’un après l’autre. Ma main est descendue sur son ventre, et j’ai vu ses jambes lentement s’ouvrir, ses reins se cambrer. Elle était prête.
J’ai glissé un majeur dans sa fente ouverte, en frottant son clitoris. Il était gros et dur, et elle, trempée. J’ai retiré mon doigt pour le mettre sous mon nez pour sentir sa liqueur intime. Elle m’a regardé faire sans l’ombre d’une gêne, et j’ai porté mon doigt sous son nez aussi, pour qu’elle sente son désir.
J’ai eu envie de la voir nue, entièrement. Je lui ai demandé de se mettre debout face à moi. Elle s’est exécutée, en se relevant. Je lui ai alors dit de remettre ses mules. Elle était encore plus belle, encore plus hiératique, jambes légèrement écartées. Je l’ai prise d’un bras par la taille, pour la rapprocher de moi. J’ai enfoncé mon visage dans son ventre, et je l’ai caressée comme ça, d’un doigt, elle debout, entièrement nue, moi assis face à elle et habillé.
Elle avait posé ses mains sur mes épaules, elle ondulait des reins pour venir à la rencontre du doigt qui la fouillait, massait son clitoris, et auquel elle ne pouvait échapper, puisque je la tenais par la taille. Je relevais parfois le visage pour voir le sien, là-haut, ses yeux étaient fermés. Quand j’ai senti à sa respiration, à ses gémissements plus aigus, qu’elle était prête à jouir, je lui ai dit de me regarder. Elle l’a fait. Ses yeux étaient fixes, son regard vide. Elle a joui en poussant un petit cri, comme de surprise, pendant que je sentais son vagin se contracter autour de mon doigt pleinement entré en elle. Elle est retombée sur le divan de tout là-haut, en s’affaissant telle une marionnette dont on a coupé les fils. La belle statue de chair était inerte, sauf ses seins qui se soulevaient à chaque respiration.
J’aurais aimé, moi aussi, avoir la stature d’un guerrier viking pour la porter dans mes bras jusqu’à la chambre. Même avec le sentiment de puissance que m’avait donné son premier orgasme, j’étais resté lucide : elle était trop lourde pour moi. Je l’ai prise par la main pour la guider jusqu’à la chambre. Elle s’est allongée sur le lit, sur le dos, jambes ouvertes, et ne m’a pas quitté des yeux pendant que je me déshabillais. Elle m’attendait, vaincue, offerte. Je l’ai prise sans la caresser, d’abord à genoux face à elle, ses jambes sur mes bras. Je voulais la pénétrer profondément, presque violemment, m’enfoncer en elle jusqu’à la garde, la faire crier. Elle a mis sa main devant sa bouche, je l’ai retirée, je voulais l’entendre. Sa tête dodelinait de droite à gauche, comme pour dire non. À un moment, elle m’a attiré vers elle, et j’ai poursuivi en missionnaire. Elle me serrait très fort, son visage était enfoui dans mon épaule. J’ai compris qu’elle allait, de nouveau, jouir. J’ai relevé le buste pendant son orgasme, je voulais voir son visage dans le plaisir. Elle a essayé de garder les yeux ouverts, mais n’a pas tenu jusqu’au bout.
Cet orgasme a libéré sa parole. Elle avait passé ses jambes derrière mes reins, pour venir à la rencontre de mon sexe. Elle me disait :
— Viens en moi, c’est ton tour, viens.
J’ai explosé en elle en plusieurs saccades, bruyamment. Elle me regardait gentiment, avec une lueur de fierté dans les yeux. Elle m’a retourné, et m’a dit :
— Je ne savais pas que ce serait aussi fort.
Ce n’est que longtemps après que nous avons réalisé que nous avions fait l’amour sans capote. Elles étaient prêtes pourtant, dans le tiroir de la table de nuit, mais aucun de nous, dans la fièvre du moment, n’y avait pensé. Et bêtement, je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir de sale bête maligne dans un corps aussi pur, aussi sain. Je lui ai dit que j’étais sûr de moi, que je n’avais pas fait l’amour depuis longtemps, et jamais sans capote. Elle m’a répondu qu’elle était sûre d’elle aussi, et de son mari. Mes préservatifs sont restés dans la table de nuit toute la semaine.
Cette semaine, inutile de la raconter dans le détail, je ne m’en rappelle plus. Ou plutôt, les souvenirs se mêlent. Elle a passé six nuits d’affilée chez moi. En assumant le fait de se retirer dans la salle de bains pour appeler, chaque soir, Luc et prendre des nouvelles de ses enfants, à qui elle téléphonait aussi le matin depuis son bureau, quand ils étaient réveillés. Nous n’avions qu’une petite semaine pour réciter l’ensemble de l’alphabet amoureux, quand d’autres couples n’en connaissent pas toutes les lettres au bout d’une vie entière. Il n’y avait rien de pervers dans nos rapports sexuels, juste une immense curiosité, une immense faim, et peu de temps pour les assouvir.
Cette femme, je l’avais jugée froide et un peu distante lors de notre première rencontre environ dix ans plus tôt, au bras de Luc. Le plaisir faisait tomber toutes ses défenses, rendait son grand corps émouvant, encore plus ouvert, encore plus offert. Après l’amour, elle me regardait comme si j’étais le meilleur amant du monde. Muriel me l’a dit très vite, presque en s’excusant, elle n’avait connu que trois amants avant Luc. Elle n’a pas précisé qu’elle en avait eu un autre ensuite et je me suis bien gardé de lui en parler, je ne voulais pas compromettre Stéphanie. Et ce moniteur de ski, je lui étais redevable, au fond, sans lui, jamais je n’aurais su que Muriel était accessible.
Son corps, elle me l’a confié pendant une semaine, libre à moi d’en disposer comme je l’entendais. Elle me considérait sans doute comme un amant expérimenté, et s’en remettait entièrement à moi. Cette docilité, et la brièveté programmée de notre liaison, enflammaient mes envies, mes fantasmes. Jamais je n’avais fait l’amour entre les seins d’une femme. Ses yeux brillaient de fierté quand elle me regardait prendre du plaisir à la chevaucher, ma queue entre ses gros seins blancs que je serrais autour de mon sexe. J’ai rugi de plaisir en éjaculant, mes jets l’ont atteint sur le cou. Elle est restée comme ça, plutôt que d’aller se nettoyer dans la salle de bains. Elle voulait garder l’odeur de mon sperme.
Jamais, non plus, je n’avais fait l’amour entre les pieds d’une femme. Mais j’adorais ses pieds, ils étaient cambrés, avec des doigts longs et bien découplés. L’idée m’est venue subitement, je lui ai demandé de me caresser le sexe avec les pieds. Puis, naturellement, j’en suis venu à la coucher sur le dos, à relever ses jambes, à m’agenouiller devant elle, à joindre ses pieds avec mes mains autour de mon sexe. Je lui ai fait l’amour ainsi. C’était incroyablement excitant. Le premier jet lui est passé au-dessus de la tête. Les autres, moins puissants, ont atteint son visage, ses cheveux.
Je me souviens aussi de notre premier matin. Je m’étais réveillé avant elle, elle était sur le flanc, et moi contre elle. Les draps sentaient le sexe, j’ai eu une érection. J’ai senti ses fesses onduler doucement contre mon sexe. J’ai passé mon bras son cou, lui ai tenu les poignets joints avec la main, et je suis entré en elle, facilement, comme si mon sexe connaissait le chemin. Son vagin était chaud, doux, humide, peut-être encore trempé de sperme. Je l’ai prise lentement, tendrement, je suivais la montée de son plaisir à ses gémissements. C’est la première fois qu’elle a vraiment crié pendant l’orgasme. J’ai joui presque immédiatement et nous nous sommes rendormis. Par la suite, nous avons fait l’amour ainsi tous les matins. Je me souvenais de ce qu’elle m’avait dit au sujet de Luc, qui ne lui faisait plus jamais l’amour le matin. L’imbécile ! Savait-il ce qu’il avait manqué ? Jamais sa femme n’était plus sensible, plus réceptive, que le matin, quand elle était encore dans un demi-sommeil. Nous nous endormions en faisant l’amour. Nous nous réveillions le lendemain en faisant l’amour, comme si la nuit n’avait été qu’un intermède.
Comme un adolescent qui découvre l’amour, j’étais devenu fou de son sexe, de son odeur après l’amour. Je descendais vers lui, j’écartais les jambes de Muriel, je respirais cette odeur à la fois suave et musquée, le mélange de nos secrétions, pendant qu’elle me caressait les cheveux de la main. Je le regardais aussi : rose, encore ouvert par mon sexe, accueillant.
Après, c’était elle qui descendait, elle léchait les dernières gouttes de sperme qui perlaient sur mon sexe, l’embrassait, lui parlait, le cajolait, mettait le nez à la naissance de mon sexe, sous les testicules, là où, disait-elle, l’odeur est la plus forte.
Il faisait beau le dimanche matin, après notre première nuit d’amour. Et j’ai retrouvé le goût ancien des matins triomphants après l’amour. Je voulais montrer à tout le quartier la femme que j’avais fait jouir pendant la nuit. Je l’ai emmenée prendre un café dans un bistrot. J’avais tenu à ce qu’elle ne prenne pas de douche, pour qu’elle garde les effluves de cette nuit. Elle avait remis ses maigres vêtements de la veille, froissés d’avoir passé la nuit en boule au pied de mon divan. Elle n’était pas maquillée. Sa belle coiffure, du jour précédent, était en bataille. Elle me touchait, du bras, du genou, du pied même, en enlevant une de ses mules.
Tout son corps disait le plaisir qu’il avait pris, et ses yeux sa reconnaissance. Ce matin-là, j’étais le roi de la ville, son impudeur paisible a réveillé mes sens et nous sommes remontés à l’appartement.
Je voulais la posséder de partout. Sa première pipe, elle me l’a faite à genoux sur mon tapis de lit, et moi assis devant elle, la main sur sa nuque pour rythmer son mouvement. Je ne sais pas pourquoi j’avais eu envie de cette position, qui la rabaissait à une simple bouche prise par un sexe. Elle s’est méprise sur la signification de ma demande, elle a cru que je la trouvais maladroite, que j’avais agi ainsi parce qu’elle suçait mal. Je l’ai compris quand elle m’a demandé comment faire, en me regardant comme si j’avais eu cent reines des pipes avant elle. Son désarroi m’a touché au plus profond. J’ai embrassé sa bouche qui venait d’avaler mon sperme, et je l’ai rassurée en disant que c’était juste un fantasme subit, que la prochaine fois, je me coucherais sur le dos et la laisserais faire.
Très vite aussi, je l’ai sodomisée. Je n’avais pas de gel, j’ai lentement écarté les parois de son anus, d’abord avec ma langue, puis avec mes doigts. J’ai été surpris qu’il ait goût de savon. Elle m’a dit après, qu’elle se doutait de ce qui allait se passer, après que j’avais introduit un doigt dans son anus la fois précédente où nous avions fait l’amour, pour sentir ses contractions pendant son orgasme. Alors, discrètement, elle s’était lavée juste avant que nous ne nous remettions au lit.
La pénétration a été aisée, elle était parfaitement détendue, à la fois dans son corps et dans sa tête. Comme elle était en levrette, je caressais son clitoris en même temps que je la sodomisais, elle était étroite. Pour une fois, j’ai joui avant elle, et elle juste après, comme si elle avait attendu mon plaisir. Elle m’a dit ensuite, que Luc ne l’avait pas sodomisée depuis des années.
Un matin, j’ai ouvert son anus avec de la salive et mes doigts pendant que je lui faisais l’amour. Quand elle a joui, je me suis retiré d’elle, et suis aussitôt revenu, juste un peu plus haut, en la pénétrant par paliers au rythme des contractions de son anus. J’ai sans doute été trop brusque, elle a crié. Je lui ai demandé si elle avait mal. Elle m’a répondu de continuer, mais ensuite, dans la journée, mon sexe était douloureux. Je lui ai envoyé un SMS très sexe, en lui disant que j’espérais que son anus lui rappelait, au travail, que j’étais passé par-là quelques heures plus tôt. Elle m’a répondu sur le même ton, disant qu’elle aimait sentir en elle la marque laissée par mon sexe.
Nous étions comme ivres de ce désir, de ce plaisir. Tous les soirs, elle passait chez elle, pour se changer en prévision du lendemain et sans doute pour téléphoner à son mari. Mais de Luc, elle ne m’a jamais parlé pendant cette semaine. Le reste du temps, elle était à moi. La journée, nous communiquions par SMS, comme deux ados. J’en ai profité une fois pour l’inviter à déjeuner. En fait, j’avais réservé une chambre d’hôtel pas loin de son travail. Je l’y ai emmenée directement, sans le lui dire. Elle ne s’en est pas offusquée, au contraire, ça l’a fait rire. Elle s’inquiétait juste d’avoir bien assumé son statut de femme adultère devant le réceptionniste, car c’était la première fois qu’elle allait à l’hôtel entre midi et deux.
Une autre fois, elle sentait si fort l’amour le matin que je lui ai demandé d’aller au travail sans prendre de douche. J’ai même plongé plusieurs fois mon doigt dans son vagin, pour le lui passer méthodiquement sur la lèvre supérieure, entre les seins, derrière les lobes des oreilles, sur le pli du cou, sur la face intérieure du poignet. Partout, là où une femme met du parfum. Je lui ai dit que je voulais qu’elle porte toute la journée l’odeur de notre amour. Elle est partie ainsi. Le soir, nous sommes allés directement dîner dans un restaurant et elle m’a avoué qu’elle avait passé une journée atroce, qu’à chaque fois qu’elle faisait la bise à quelqu’un, elle craignait qu’il ne détecte cette odeur révélatrice. Je l’ai embrassée par-dessus la table en lui disant qu’elle sentait bon. Elle s’est alors levée, est partie aux toilettes, puis a glissé quelque chose dans ma poche en revenant s’asseoir. J’ai mis la main dans ma poche, et réalisé qu’il s’agissait de son slip : elle était sexe à l’air devant moi ! J’ai porté son slip vers mon nez, en le serrant dans ma main comme si c’était un mouchoir. Son odeur était enivrante.
Nous avions perdu tout repère, tout contrôle, tout tabou, au point d’oublier même le décompte des jours. Elle me l’a rappelé le jeudi soir, veille de son départ. Elle m’a demandé de ne pas l’accompagner à Orly. Elle avait raison. Elle repartait dans son autre vie, sa vraie vie. Son mari et ses enfants l’attendraient à l’arrivée et elle avait besoin de cette journée de vendredi pour se remettre dans sa peau d’épouse. La parenthèse était refermée.
Je n’ai pas mal vécu son départ. Le week-end a été calme, les jours suivants aussi. Je travaillais, je n’avais pas envie de voir du monde. Le souvenir précis de cette semaine passée ensemble, de cette folie sexuelle qui nous avait saisis, me suffisait. Je me caressais tous les soirs en pensant à elle, à son corps pendant l’amour. Et moi aussi, je me préparais à reprendre ma vie. Ma fille m’attendait le premier août, j’allais la chercher à Biarritz, pour remonter au Cap-Ferrat, passer trois semaines dans une maison louée avec des amis.
J’ai été surpris de recevoir un SMS de Muriel, juste avant mon départ. Il était bref :« Merci de m’avoir fait redevenir une femme. Je pense à toi ». Je n’ai pas répondu. Lâchement, je m’étais senti coupable envers Luc, après coup, bien sûr. Il ne m’avait jamais rien fait de mal, au contraire, j’avais apprécié sa sollicitude après le départ de Christine. Il croyait que j’étais son ami et derrière son dos, comme un salaud, j’avais tout fait pendant des mois pour séduire sa femme, en planifiant la moindre de mes avancées. Je me cherchais des excuses, je me disais que j’avais cherché inconsciemment à me venger de la blessure que m’avait infligée Christine, en la transposant sur Luc. Je ne voulais pas aller plus loin, en même temps, le SMS de Muriel m’avait irrité. Je retournais dans ma tête le sens de sa première phrase. Merci de m’avoir fait redevenir une femme. Qu’est ce que ça voulait dire ? Que son horloge intime s’était remise à fonctionner, et qu’elle s’envoyait en l’air tous les jours avec Luc ?
J’ai chassé consciencieusement le souvenir de Muriel pendant ce mois d’août. Grand bien lui fasse si elle avait recommencé à baiser avec Luc. J’aurais au moins servi à ça. Nous nous étions mutuellement rendu service, tous les trois. J’ai eu une histoire avec une femme divorcée, un peu plus âgée que moi. Ma fille a commencé par me dire qu’elle était vieille, puis, l’a admise. Je crois qu’elle préférait qu’il y ait parité entre sa mère et moi, puisque Christine vivait avec un autre homme. Ça la rassurait, elle commençait à accepter la séparation de ses parents, et voulait qu’aucun d’eux ne reste sur le carreau.
J’ai revu cette femme à mon retour à Paris, mais j’avais recommencé à penser à Muriel. Pas sur le plan sexuel, dans mon esprit, cette affaire était close, quel que soit le plaisir que j’avais pu y prendre, dans la mesure où elle ne pouvait déboucher sur rien, mais je savais que j’allais forcément la retrouver un de ces soirs avec Luc, lors d’un dîner. Cette perspective, inévitable, me mettait mal à l’aise.
Muriel a précédé ce moment, elle m’a appelé une après-midi, en me disant que nous nous étions quittés trop brusquement, sans transition, qu’elle avait besoin de me revoir, de me parler, avant que nous ne nous retrouvions assis autour d’une même table lors d’un dîner chez des amis, avec Luc à un mètre. Nous avons convenu de déjeuner ensemble le lendemain.
Je suis allé à ce déjeuner sans enthousiasme, c’était plutôt une corvée. Nous avions connu plusieurs mois de phase ascendante dans nos rapports, conclue par cette semaine magique. Pourquoi nous revoir en période de reflux ? J’ai eu un pincement au cœur quand je l’ai vue arriver. Elle était en jupe et talons, maquillée, avec une veste mais un chemisier déboutonné en haut qui laissait voir la naissance de ces seins. À quoi jouait-elle ? À la femme libérée capable de discuter comme si ne rien n’était avec son ancien amant ?
Entre nous, la gêne était palpable, épaisse. Nos mots étaient vains et creux. Nous parlions du temps qu’il avait fait pendant les vacances, des progrès de nos enfants en natation. C’était misérable ! Nous avions quand même été autre chose. En lui parlant, je ne pensais qu’à son corps dont je connaissais chaque centimètre carré, au goût de son sexe, au rictus de son visage pendant l’orgasme, à ses seins dont je voyais la naissance. À un moment, je me suis levé pour aider une personne à s’asseoir à la table voisine. J’ai vu un de ses pieds et m’est revenu, comme une douleur, le souvenir de ses pieds caressant mon sexe.
Une fois encore, c’est elle qui a pris les devants. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas faim et m’a demandé de payer. Une fois dehors, elle m’a dit sur un ton sec de l’emmener dans un hôtel. Nous en sommes ressortis tard dans l’après-midi, après avoir chacun téléphoné au bureau pour donner un prétexte à notre absence.
Muriel m’a rappelé le lendemain. Elle avait tout dit à Luc. Ils se sont quittés peu après. Elle lui a laissé la garde des enfants. Nous sommes mariés depuis quatre ans maintenant. Nous avons eu une fille. Elle ne vient pas dans notre chambre à son réveil car le matin, je fais souvent l’amour à ma femme.
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