Décidément, l’existence a du bon, même si c’était quand même mieux avant. Mais non, je ne suis pas un vieux machin nostalgique, quoique, dans la catégorie « Respect aux Aînés », je pense que je suis imbattable, sauf par certains de mes confrères et consœurs !
D’ailleurs, pour preuve de ma bonne santé malgré mon âge canonique, je rigole tout le temps. Aidé d’un sourire carnassier étincelant, je suis bien portant, un peu rebondi quand même, et ne parlons pas de ma « petite » chose dressée, exaltation de ma virilité éclatante. Pas à me plaindre.
Actuellement, je joue les voyeurs auprès d’un couple d’âge moyen à qui tout semble réussir ces derniers temps. Le fric et la chance dégoulinent sur eux, mais ils restent raisonnables, j’en connais qui auraient déjà pété un plomb depuis longtemps. L’homme est mesuré, ne fait pas de folies particulières, la femme aussi, mise à part sa garde-robe. Ils ont bien acheté une nouvelle maison pour remplacer l’ancienne, changé de voitures, creusé une piscine ainsi que diverses choses, mais toujours sans excès. Quelque part, je suis fier d’eux, ils ne disjoncteront pas en deux temps, trois mouvements.
Par contre, depuis que tout va bien pour eux, côté sexe, ils se déchaînent : matin, midi, soir et nuit, ils y vont de bon cœur. Ils se font souvent des petites galipettes, sans aller forcément jusqu’au bout, ce qui est compréhensible, nous ne sommes pas des surhommes, bien que… quoique… Bref, je suis content, je suis aux premières loges pour assister à tout ça. Du haut de mon poste d’observation, j’ai une vue imprenable sur les attributs de monsieur et les courbes de madame. Et comme ils sont encore assez jeunes, à cheval sur la quarantaine, ils ont du cœur à l’ouvrage et ça me plaît bien.
Excusez-moi, mais je crois que ça va être reparti pour un tour et je ne désire pas laisser passer une miette de ce qui risque de se passer sous peu !
— C’est Agnès qui téléphonait ! dit la femme.
— Et elle disait quoi ?
— Rien de particulier, si ce n’est que j’ai cru comprendre qu’ils aimeraient passer à la maison, un de ces quatre.
— Depuis que nous avons du fric, nous sommes redevenus très fréquentables par tes anciens amis, répondit une voix acide.
— Oh, tu peux parler, toi, de ton côté… !!
Les deux corps presque nus de la femme et de l’homme sont très proches l’un de l’autre, comme s’ils allaient s’étreindre, mais leurs attitudes démentent cette impression, de l’orage semble dans l’air avec échange de mots aigres-doux.
— Pas si sûr ! Mes amis sont moins… rapaces.
— Moins ? Donc ils le sont quand même un peu ! Et puis, parlons-en de tes amis ! Pas un pour racheter l’autre ! rétorque la femme, en secouant la tête.
— Cause toujours ! J’ai bien vu comment certains de tes amis reluquaient la maison, sans parler de ma femme ! C’en était indécent !
— C’est bien la preuve que je plais ! Et puis, pendant qu’on y est, parlons un peu de tes chèèèères copines qui aimeraient bien te mettre le grappin dessus et sur ton magot !
— Depuis ton ravalement général, surtout !
— Mon quoi ???
Elle se plante face à lui. Il s’adosse au muret qui sépare partiellement la terrasse de la piscine :
— Ton ravalement général ! Tu en avais besoin et pas qu’un peu !
— Ah oui, et c’est qui le jeune beau qui s’est fait raboter le menton et liposucer le bide ? Qui ?
— Toi, ce furent les seins, le ventre, les fesses, les cuisses, le visage et j’en passe !
— Le visage, comment ça, le visage ?
— Tes rides, elles étaient où ? Sur ton cul ?
— Laisse mon cul tranquille ! D’ailleurs, tu l’adores, mon cul, n’est-ce pas ? Toujours fourré dedans, là où il ne faut pas !
— Tu ne détestes pas non plus de te faire posséder ainsi !
— Oh, tu peux parler, toi !
Ça devient lassant. Ces derniers temps, on dirait que ça ralentit, qu’il y a du sable dans les rouages, des nuages noirs dans le ciel. Pourtant, ça allait mieux, il y a moins d’une semaine, mais ils ont beaucoup reçu, peut-être trop. Bon, hier soir, ça s’est terminé en belle réconciliation sur l’oreiller et ce fut un sacré spectacle ! Un véritable déchaînement des sens ! Si je savais encore rougir, j’aurais pris quelques couleurs !
Ça va faire cinq minutes que j’ai coupé le son, rien d’intéressant : ils sont en train de se jeter à la figure dix ans de vie commune et un an de trop bien-être. Ils gesticulent dans tous les sens, parcourent la terrasse de long en large, lui après elle ou elle après lui. Ils ont même fait deux tours de la piscine avec de grands gestes. Par contre, aucun d’entre eux n’a encore touché l’autre. Je parie que si ça survenait, ou bien ça dégénérerait en bataille de chiffonniers, ou bien ils se jetteraient dans les bras l’un de l’autre et c’est nettement plus cette deuxième solution qui m’intéresse. J’appréciais naguère les assauts violents, les corps qui se tordent et qui se cassent, le sang qui coule, la fureur des instincts. Je suis devenu plus calme avec le temps.
Le temps !
Avant, je me la coulais douce ; enivré, je buvais littéralement du sang à longueur de journée, ce sang si rouge et si chaud, onctueux, issu des corps fracassés aux cœurs palpitants, ces interminables cascades écarlates, le long des escaliers de pierre. Ce sang dans la chaleur d’un après-midi moite.
Ah, nostalgie…
A bien y songer, j’ai terriblement déchu, en passant d’un rôle de premier plan de cacique sadique et sanguinaire à celui d’un voyeur des turpitudes sexuelles d’un couple assez banal. Mais chaque époque commence et finit, un cycle éternellement recommencé, comme l’année qui va du printemps à l’hiver puis qui renaît, encore et toujours. Tout renaît, tout recommence, le cycle est immuable et les humains s’agitent vainement, croyant influencer la grande roue.
S’ils savaient !
Moi, je sais. J’ai l’expérience de l’âge, j’ai traversé mille vies, vu des tas de choses, compris, appréhendé, exploré. Cent fois j’ai été plus bas que terre, cent fois je suis remonté au zénith, à l’image de l’éternelle roue qui ponctue les existences. Oui, je sais. Pas forcément tout, mais beaucoup. Je sais même comment vont finir ce couple et cette histoire, pas forcément dans les détails mais dans les grandes lignes. Ce sont justement les détails qui forment ce qu’il y a de plus intéressant et ce couple m’en offre une large ration. Par contre, pour la trame générale, rien de nouveau sous le soleil…
Le soleil… Ce soleil de plomb de mes jeunes âges, ce soleil à la fois lointain et si proche, ce dieu soleil au disque rond, à l’éclat aveuglant qui exigeait sa part, son tribut sur les hommes chétifs et soumis afin de continuer encore et encore sa course folle sous la voûte du ciel.
Les hommes d’aujourd’hui n’ont rien compris. Ils se tapent dessus en pure perte, ils massacrent à droite, ils étripent à gauche et ils salissent tout sur leur passage. Antan, c’était mieux conçu : on se capturait dans des guerres sacrées et une fois le quota rempli, chacun se séparait en se disant à la prochaine fois, puis joyeusement et festivement, on décimait en ordre et en cadence, lors d’un grand spectacle où tout le monde trouvait son compte : le sang pour ceux d’en haut, la chair pour ceux d’en bas. C’était organisé, planifié, régulé.
Maintenant, c’est du n’importe quoi.
Comme ces deux fourmis qui s’agitent en brassant du vent. Ils me font quoi, ça va faire presque un quart d’heure qu’ils gesticulent, c’est terriblement lassant et ça ne mène à rien. Je vais remettre le son pour voir où ils en sont :
— Tes affaires, ton petit confort, et moi dans tout ça ?
— J’en ai autant à ton service ! Sortie de tes vêtements, il n’y a plus grand-chose !
— Ah oui ? T’es bien content quand tu m’exhibes en robe du soir ? Histoire de faire bander tes soi-disants copains en paradant à mes côtés ?
— Tu te surestimes !
— Ah oui ? Ils ne bandent pas, tes copains ?
— Euh…
— Ils ne bandent pas ? insiste-t-elle.
— Si ! Oui, ils bandent, oui, ils bavent, oui, ils voudraient te foutre dans leur plumard !! T’es contente ?
— Me foutre dans leur plumard, il y a un jeu de mot ?
— Un jeu de m… ??
Il semble interdit, comme désorienté puis il se reprend, tout en s’approchant d’elle qui recule :
— C’est malin ! Oui, ils bandent ! Oui, je bande ! Oui, ils bavent ! Oui, je bave ! Tout ce que tu mérites c’est d’être foutue dans un plumard, de long en large, de droite à gauche et surtout de haut en bas !!
— De… de haut en bas ?
— Oui, je t’explique !
Et bien voilà, il leur a fallu du temps mais on y arrive, enfin ! Voyons comment ils vont s’y prendre, je sens que ça va être épique, d’autant que les trois quarts du boulot sont déjà faits : il est en maillot de bain et elle aussi. Et encore, pour elle, c’est comme souvent, c’est arachnéen !
Je sens qu’on va enfin passer aux choses sérieuses, je me cale posément et je profite du spectacle. Ici, il n’y a que deux protagonistes, mais ça ira. Bon, c’est vrai qu’avant, ça pouvait se compter par milliers, une foule grouillante, masse vivante tendue vers une seule adoration, un seul élan mystique, une seule âme. Hélas, c’est bien fini pour moi, maintenant. Où en étions-nous ?
Il semble interdit, comme désorienté, puis il se reprend, tout en s’approchant d’elle qui recule :
— C’est malin ! Oui, ils bandent ! Oui, je bande ! Oui, ils bavent ! Oui, je bave ! Tout ce que tu mérites c’est d’être foutue dans un plumard, de long en large, de droite à gauche et surtout de haut en bas !!
— De… de haut en bas ?
— Oui, je t’explique !
Pardon, vous connaissez déjà ce passage, excusez-moi, je vais continuer. Mais juste pour la forme et la beauté du geste, je me permets cette petite chose :
— De… de haut en bas ?
— Oui, je t’explique !
Et il la coince dans l’angle de la terrasse, contre le petit muret et la grande baie vitrée fermée. Le contact froid la fait tressaillir, elle tente de se dégager, aussitôt il la plaque derechef. Elle s’agite, joue des bras et des mains, il les capture, joue de sa force. Le contact les suspend, ils se regardent, les yeux rivés, une tension électrique naît, ils ne savent plus quoi faire. Elle a envie de lui taper dessus, de le griffer, de lui faire mal, de le ravaler plus bas que terre, il désire éprouver sa force sur elle, la sentir à sa merci.
Le temps se suspend, l’homme et la femme sont suspendus.
Comme un barrage qui cède sous la pression des eaux, comme un flot qui ravage la vallée, au ralenti, leurs corps se jettent l’un sur l’autre, leurs peaux se touchent, leurs courbes se moulent les unes aux autres. Leurs bouches se joignent dans un baiser farouche, exigeant, mordant. Leurs langues se nouent, cherchent l’autre, le caressent, l’agacent, fusionnent.
Leurs gestes sont saccadés, comme trop pleins de rage et d’excitation contenues, leurs doigts s’entremêlent, se serrent, se broient.
Leurs ventres se moulent, se frottent, s’épousent.
En grands gestes désordonnés, ils se broient, se griffent, malaxent leurs chairs avides, caressent, frôlent, câlinent. Leurs respirations saccadées, leurs cœurs qui battent à tout rompre, ils se veulent, ils se désirent, primitivement.
D’une main ferme, il agrippe la fine ficelle du maillot de celle qu’il désire puis l’abaisse pour dégager une cuisse appétissante.
Mise nue, elle continue à l’offrir à l’autre, l’embrassant follement, fusionnellement. Puis à son tour, elle ôte la dernière barrière de tissu qui la sépare de lui, de son corps viril. L’instant d’après, elle goûte à la chaleur d’une trique de chair dure qui lui moule le ventre. Elle se caresse voluptueusement à cette rondeur ardente.
Puis sentant qu’il pourrait se répandre ainsi sur son ventre, elle s’écarte de lui et l’entraîne vers la piscine. Il ne se fait pas prier.
L’eau de la piscine est chaude à souhait, ils s’embrassent toujours comme des fous, leurs peaux humides accroissent les sensations, les exacerbant. Leurs mains jouent un ballet de caresses, de tâtonnements coquins dans mille bruits d’eau. Il la plaque contre un bord, sa tige collée à son ventre rond, afin qu’elle sente bien son désir, cette tige qui ira bientôt en elle et qu’elle accueillera dans son intimité. Leurs bouches voraces ne se lassent pas du goût de leurs lèvres, du sucré de leurs langues.
Plaquée sur une toison détrempée, elle griffe le dos large de celui qui la désire. Ses doigts glissent le long d’une vaste plaine de chair mouillée.
Ils s’offrent, se prennent, s’exigent. Ils s’oublient et se font l’amour sans retenue, primitivement, comme si rien d’autre n’existait ou n’existera.
Excité, il lui soulève une jambe d’une main exigeante, s’abaisse un peu afin de bien se positionner. Son gland cogne vite à l’entrée convoitée. Sans préambule, il donne un coup de reins, sa tige heurte l’orée du sexe sans toutefois y pénétrer. Elle riposte en le griffant un peu plus, pour bien lui faire comprendre qu’il n’est pas le seul maître à bord. Il soulève plus encore sa jambe, lui colle le dos au carrelage puis force à nouveau le passage. Ripant lamentablement, le gourdin s’égare entre les cuisses, visant le vide et surtout le bord de la piscine. Riant sous cape, elle lui saisit la tige, la positionne correctement. Un peu vexé, il donne un bon coup de reins et le pieu plonge dans le bosquet détrempé, entre les lèvres accueillantes. Il pousse un petit râle de victoire, elle lui répond par un soupir.
La sensation est étrange, dans ce milieu aqueux, une sorte de succion se fait ressentir, c’est inaccoutumé mais excitant. Il la pistonne fermement, bien décidé à rattraper ses errements et aussi quelque part à se venger bassement en lui faisant sentir qui est du bon côté du manche. Elle accompagne chaque va-et-vient d’un mouvement ample de bassin, la tige coulissant sans effort malgré l’élément liquide dans lequel ils baignent tous les deux.
Il abandonne sa bouche pour se perdre dans son cou, lui mordille tendrement l’oreille, lui suce voracement le lobe, embrasse fougueusement la ligne fine du cou jusqu’à l’épaule. Les yeux fermés, le visage pointé vers le ciel, elle subit tout en soupirant. Une main s’empare de sa fesse, une autre d’un sein, des doigts qui malaxent les chairs molles et délicates sans retenue.
Elle s’empare alors comme elle peut du cul ferme de son tortionnaire pour se planter encore plus sur le pieu qui la pistonne férocement. Les coups de reins s’accélèrent, les mouvements de bassin aussi, ils halètent ; il sent sa jouissance tout au bout, prête à bondir, elle sent les contractions ondulantes arriver. Son clitoris frotté, imbibé d’eau chlorée la tourmente, vrille. Elle jette encore plus la tête en arrière, il s’enfonce encore plus dans son cou, lui dévorant avidement ce qu’elle lui offre.
Un cri bref, un râle prolongé, elle jouit, son corps parcouru de frémissements incontrôlables. Devant son orgasme, il explose à son tour, vidant, sans retenue, une déferlante de sperme dans l’antre chaud et humide qui l’accueille et le boit.
Peu après, ils sont enlacés, couchés sur les marches de la partie petit bassin, le corps à moitié dans l’eau chaude, collés l’un à l’autre. Il la caresse tendrement, elle se blottit contre son torse, jouant des doigts avec les boucles trempées.
Le temps passe, le vent se fait entendre dans les arbres des alentours. Elle saisit sa tige amollie, la frotte afin de la nettoyer dans l’eau qui les baigne. De ce fait, elle obtient un commencement de rétablissement, un durcissement frémissant. Il agit de même en s’égarant entre ses cuisses, cueillant au passage des traces évidentes de son passage. Il la masturbe doucement, elle le branle délicatement, leurs corps reposés et alanguis.
Puis plus tard, il se couche sur elle et la pénètre sans difficulté, le plus simplement du monde…
Naguère, enivré, je buvais littéralement du sang à longueur de journée, ce sang si rouge et si chaud, onctueux, issu des corps fracassés aux cœurs palpitants, ces interminables cascades écarlates, le long des escaliers de pierre. Ce sang dans la chaleur d’un après-midi moite.
Maintenant, enivré, je bois comme en symbiose ce fluide de vie à longueur journée, ce fluide si blanc et si chaud, onctueux, issu de ces corps exacerbés aux cœurs palpitants, ces interminables jaillissements, le long d’un escalier de piscine.
Ce fluide dans la chaleur d’un après-midi moite…
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